mardi 28 décembre 2010

Le monstre des antipodes

Tout commença à Hienghène, bourgade située sur la côte Est de la grande terre et réputée pour ses falaises noires. Depuis que nous avions entamé notre tour de Nouvelle-Calédonie quelques jours auparavant, le ciel était resté d’un gris éblouissant, de ce genre de lumière qui pourrit toutes les photos ; la silhouette déchiquetée des murailles de calcaire karstique n’en était que plus menaçante.
Exténués après avoir longuement cheminé sur les routes défoncées, nous garâmes la twingo encore fumante en face de la place du marché. Sous les arcades blanches, cinq femmes kanaks peu amènes proposaient chacune quelques bananes et des tronçons d’igname. Nous prîmes le parti de déjeuner au snack attenant au syndicat d’initiative. La serveuse nous installa à une table de jardin en plastique, dehors, sous un auvent de toile cirée blanche. Après avoir pris notre commande (crevettes pour Caroline et poulet pour moi, accompagnés de bananes poingo cuites dans du lait de coco, c'est quand même pas bien compliqué), elle revint à trois reprises pour nous redemander ce que nous souhaitions manger, l’air gêné. Alors que nous nous assurions qu’aucune caméra n’était cachée dans les alentours, nous remarquâmes une excroissance jaunâtre d’une dizaine de centimètres de long, posée sur l’un des montants métalliques soutenant la toile cirée. Nous nous approchâmes prudemment, pas à pas, Caroline tenant fermement mon bras gauche. Ce que nous virent là, dans ce snack désert à deux pas de la rivière Hienghène, resta douloureusement imprimé sur nos rétines pendant les jours qui suivirent. Maintenant encore, alors que nous sommes à 17 000 kilomètres de l’horreur, je me réveille parfois en pleine nuit le cœur battant, les draps trempés de sueur, sans savoir où je suis. Dans ces moments d’épouvante, c’est cette atrocité que j’entrevois, la première à laquelle nous fûmes confrontés.
Ce monstre, je répugne à en reproduire l’image sur ces pages. Néanmoins, le monde doit savoir, afin de se préparer en vue du jour où les hideuses nuées se répandront au-delà des mers.
Bon là je pense que vous êtes bien préparés, je peux balancer la photo… Cette note a pour sujet principal un autre animal endémique de Nouvelle-Calédonie, qui en soit constitue un parfait exemple de gigantisme insulaire, j’ai nommé Pseudophyllanax imperialis a.k.a. la sauterelle des cocotiers !
Ha ha ! A l’évocation de cet effrayant patronyme, un frisson glacé vous parcourt l’échine, vous êtes soudain agité de mouvements convulsifs, votre bouche devient plus sèche qu’un coup de trique, et vos sterno-cléido-mastoïdiens se contractent violemment l’un après l’autre afin de vous faire tourner la tête au plus vite. Cependant, la fascination l’emporte, et vos yeux restent scotchés à l’écran, espérant avoir enfin une idée de la tronche que pourrait avoir Belzébuth.
Eh bien voilà le premier spécimen de P. imperialis que nous avons rencontré. Une grosse dizaine de centimètres de longueur, 2 cm de hauteur au garrot.
La bête
Là, ça fait pas très impressionnant, mais il faut savoir que c’est le deuxième orthoptère le plus grand au monde, derrière les weta géants de Nouvelle Zélande (Deinacrida spp.). Mais c’est beaucoup plus méchant que les dits weta, vous allez voir.
Nous eûmes une dizaine de jours pour nous remettre de nos émotions. Alors que nous profitions de la paradisiaque île des pins, nous fûmes une nouvelle fois confrontés à la bête. Au retour d’un petit-déjeuner déraisonnable, nous trouvâmes sous le toit de notre luxueux bungalow un autre représentant de l’espèce, de fort belle taille et d’une jolie couleur verte. Je grimpai sur une chaise longue et saisis l’insecte par son scutum, à l’insertion des ailes. 
La bave aux lèvres et le regard maléfique


Eh oui, je suis marié
  Le bestiau sembla moyennement apprécier, et me donna des coups de ses grosses pattes postérieures munies d’épines acérées. L’une d’elle se ficha à la face interne de mon annulaire droit, et je dus demander de l’aide à Caroline pour me défaire de la sauterelle. Je la relâchai sur l’herbe à quelques pas de notre demeure. Bilan : un petit trou sanglant sur le doigt.

Voici une démonstration en vidéo des moyens de défense de P. imperialis. Admirez le mouvement des pattes postérieures, que l’animal emploie comme des hallebardes. Et si vous mettez le son à fond, vous entendrez un son produit par l’animal en frottant ses ailes l’une contre l’autre comme des ciseaux. Ce bruit est assez fort pour dissuader un chien curieux d’y mettre les crocs.

Le lendemain, nous comprîmes que les sauterelles des cocotiers que nous avions vues jusqu’alors étaient des nains. Toujours sous le toit de notre bungalow trônait la grand-mère de toutes les sauterelles. Ce modèle-là mesurait une grosse quinzaine de centimètres, d’une tête cauchemardesque à un oviscapte pointu comme Einstein en physique quantique (comparaison un peu difficile à comprendre, je l’admets).
P. imperialis dans son habitat naturel
Echaudé par ma mésaventure de la veille, je me protégeai la main d’un gant en néoprène puis saisis le monstre par le versant dorsal du thorax.

Cette fois-ci, je vais pouvoir t'emmerder à mon aise...

Et là, c’est le drame : après une acrobatie que j’ai encore du mal à comprendre, la bête se retrouva sur la face postérieure de ma main, et commença à me la brouter de ses mandibules acérées.

P. imperialis en plein repas
Heureusement, le néoprène ne figure pas sur la liste des aliments préférés de P. imperialis. Rebutée par la texture des téguments de son agresseur (après 30 secondes de mastication hésitante quand même), la bête entrepris logiquement de grimper le long de mon bras. A chaque « pas », je pouvais sentir ses griffes me chatouiller dangereusement, mais ce qui était le plus effrayant, c’était le chemin qu'elle empruntait : petit à petit, la reine des P. imperialis s’approchait de mon visage. Oui, de mes yeux et de mon cou fragiles… Vu la puissance et les armes de l’ogre, ni Caroline ni moi n’osions lui balancer un bourre-pif. C’eût probablement été peine perdue, vu qu’il s’agrippait de toutes ses serres sur mon T-shirt.

Photo floue, Caro était un peu paniquée

La bête me grimpa bientôt sur la nuque, puis sur les cheveux… Toute ma vie commença à défiler devant mes yeux. La maternité de Saint-Brieuc, la rencontre avec Caroline, le mariage (hum...)... Alors que j'étais à une dizaine de centimètre de l'énucléation, j’eus un éclair de génie, mis ma main gantée en visière devant mes yeux, et cette idiote de sauterelle fonça dans le piège. Une fois retournée sur ma main, j’employai le même stratagème pour la poser sur la balustrade de notre balcon. Et voilà, tout est bien qui finit bien.

Ah ah, c'est qui le plus malin ?
Intrigué par la profusion de monstres sur les murs de notre bungalow, je furetai, la nuit venue, dans les cocotiers avoisinants. Eh ben y’en avait plein ! Les saloperies grignotaient à qui mieux mieux les palmes, et je compris mieux pourquoi P. imperialis est considéré comme un fléau, participant à la raréfaction de palmiers endémiques.
On finit pas son assiette ???

Que d’aventures ! Et le pire reste à venir…

3 commentaires:

  1. Vincent, tu es l'une des rares personnes pour qui je dois prendre un dictionnaire pour te lire et te comprendre. Donc voilà:
    Amène adj. (lat. amoenus) Litt. D'une courtoisie aimable, affable.
    Tégument n.m. (lat. tegumentum, de tegere, couvrir) 1. Ensemble des tissus qui couvrent le corps des animaux. Peau de l'homme. 2. BOT. Enveloppe de la graine.

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  2. Je ne comprends toujours pas la comparaison avec Einstein en physique quantique, même après avoir corrigé la faute d'orthographe (Oviscapte et non oviscape semblerait-il) constatée en cherchant sur internet la signification de ce mot !

    Des explications ?

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  3. Bien vu pour oviscapte, je corrige. Einstein, il était super pointu en physique quantique, non ?

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