vendredi 25 février 2011

Clever Crows

Une nouvelle pause zoologique sur un sujet passionnant, qui fait l’objet d’une abondante littérature scientifique... Nous allons parler de Corvus moneduloides, le corbeau de Nouvelle-Calédonie, aka l’Einstein à plumes !

La star du jour

Ce bestiau est probablement le plus intelligent des oiseaux. Ce n’est certes pas le seul à utiliser des outils : le gypaète barbu casse des œufs et des os en largant des caillous dessus, et il est bien connu que certains corvidés (famille des corbeaux) utilisent des brindilles pour dénicher des proies de leur logi.
Mais les corbeaux de Nouvelle-Calédonie sont bien plus malins. Gavin R. Hunt a rapporté en 1996 dans le journal Nature avoir observé des Corvus moneduloides en pleine fabrication d’outils. En bref, l’animal choppe une branche d’Osmanthus austrocaledonicus (a) et en arrache une subdivision, puis vire les feilles. Au final, il obtient un crochet (c à j), qui sert ensuite à déloger des larves de Cerambycidae qui se planquent dans du bois mort. 
Et voilà le travail !
 Au passage, les kanak mangent également de telles larves : les vers de Bancoule. Beurk.
image provenant de http://www.endemia.nc/

Mais les corbeaux ne s’arrêtent pas là. Ils sont également capables d’arracher des bandes de feuilles de Pandanus de différentes tailles, selon l’usage auquel elles sont destinées.
Une équipe d’Oxford a poussé les investigations plus loin. Ils ont capturé des corbeaux de Nouvelle Calédonie, et les ont soumis à des tests en laboratoire. Ils ont constaté1 2 que les oiseaux peuvent modifier des outils préexistants. Sur la vidéo qui suit, le corbeau, constatant que son outil n’est pas adapté, le tord pour former un crochet qu’il utilise pour choper son quatre heures.

Encore mieux ! Les corbeaux de Nouvelle-Calédonie peuvent également élaborer une stratégie comprenant plusieurs outils afin d’arriver à leur finalité3 (qui, rassurons-nous, est toujours gastronomique). Betty, la star de cette nouvelle vidéo, réussit à sortir son sandwich du placard après avoir utilisé trois outils successifs ! Elle utilise les outils dans le bon ordre, et les retourne pour optimiser leur usage. Et c’est la première fois qu’elle est confrontée à ce problème. Trop forte, la Betty.
L’utilisation d’outils par le corbeau de Nouvelle-Calédonie est-elle une curiosité de laboratoire ? Les copains de Betty vivant dans les forêt de la Grande Terre ont-ils besoin de se tordre les méninges pour se sustenter, ou se contentent-ils de gober quelques papillons et lézards malchanceux ?
Pour répondre à cette question, l’équipe de A. Kacelnik a élaboré deux approches. La première consiste à équiper les corbeaux de petites caméras, et à observer leur comportement en milieu naturel. Cette expérience a fait l’objet d’une publication dans la revue Science en 20074. Les auteurs ont ainsi pu identifier des comportements qu’on n’avait jamais observé jusqu’alors. Un des corbeaux (i) a transporté un outil sur plus de 100 mètres, (ii) l’a mis de côté à plusieurs reprises, pendant qu’il se servait de son bec, avant de l’utiliser de nouveau, et (iii) a gardé cet outil avec lui-même après avoir extrait une proie. Dans un environnement forestier, où les brindilles ne manquent pas, tout cela indique que les oiseaux peuvent garder des outils particulièrement intéressant pour des utilisations futures.
 
Quelques images et données collectées grâce aux caméra embarquées (fixées sur la queue de la bête, en rouge sur la figure A)

Loft story chez les corbeaux
La deuxième approche est indirecte. Dans la nature, l’extraction des larves demande souvent un outil (dans 70% des cas observés en vidéo, ces larves sont extraites grâce à un outil), du talent (les jeunes corbeaux inexpérimentés n’y arrivent pas), et du temps (même les corbeaux expérimentés mettent du temps, donc ce comportement est potentiellement coûteux énergétiquement). La corollaire de ces trois exigences est que la proportion de larves dans l’alimentation d’un corbeau reflète quantitativement l’utilisation des outils : un corbeau ne sachant pas utiliser d’outil ne pourra manger que peu de larves. Mais comment évaluer ce que mangent les corbeaux dans la nature ? Dans un article paru en 2010, toujours dans Science5, les auteurs ont mesuré la proportion de certains isotopes (13C, 15N) dans les plumes et le sang de corbeaux de Nlle Calédonie, et en ont déduit la proportion des principaux éléments constituant l’alimentation des corbeaux. A noter qu’il semble particulièrement aisé de déterminer la proportion de nutriments issus des larves de Cerambycidae, car ceux-ci hébergent dans leur tube digestif des symbiotes qui fixent l’azote, ce qui a tendance à diminuer la quantité de 15N dans leurs lipides et protides. Le résultat de tout ça, c’est que les 22 corbeaux étudiés ont mangé en moyenne 1,8 larve (de taille intermédiaire) par jour. Sachant qu’il suffit de 2,98 larves de taille intermédiaire pour assurer les besoins énergétiques quotidiens d’un corbeau, il parait évident que les bons utilisateurs d’outils ont un net avantage énergétique (et sélectif) sur les autres ! D'où la pérennité d'un tel comportement.

Ils mangent pas 5 fruits et légumes par jour

Sur ce, je vais me bouffer un ver de Bancoule avant de dormir...


QUELQUES REFERENCES
1. Weir AA, Chappell J, Kacelnik A. Shaping of hooks in New Caledonian crows. Science 2002;297(5583):981.
2. Weir AA, Kacelnik A. A New Caledonian crow (Corvus moneduloides) creatively re-designs tools by bending or unbending aluminium strips. Anim Cogn 2006;9(4):317-34.
3. Wimpenny JH, Weir AA, Clayton L, Rutz C, Kacelnik A. Cognitive processes associated with sequential tool use in New Caledonian crows. PLoS One 2009;4(8):e6471.
4. Rutz C, Bluff LA, Weir AA, Kacelnik A. Video cameras on wild birds. Science 2007;318(5851):765.
5. Rutz C, Bluff LA, Reed N, Troscianko J, Newton J, Inger R, et al. The ecological significance of tool use in New Caledonian crows. Science;329(5998):1523-6.



  

jeudi 27 janvier 2011

Le tour du Nord de la Nouvelle Calédonie

Depuis Bouraké, embarcadère pour l’ilot Tenia, nous partons vers La Foa, puis vers Farino. Les paysages évoquent initialement le pourtour méditerranéen. Les collines fauves sont parsemées de buissons de myrtacées, délimitant parfois d’immenses pâturages. De la France, on peut se demander si la Nouvelle-Calédonie se trouve à l’Est ou à l’Ouest ; ici, pas de doute : on est au Far West, avec ses ranchs et ses cow boys.

A mesure que nous progressons vers l’Est, le relief s’élève et se couvre d’une végétation luxuriante. Nous arrivons vers 17 heures à Farino, où nous plantons notre tente au camping « Le refuge de Farino », au bord d’une rivière où évoluent plein de crevettes. Sur le papier, ça a l’air super, y’a tout le confort dont on puisse rêver, y compris un jacuzzi. En fait, y’a même pas d’eau chaude (d’après la responsable, quelqu’un avait éteint le chauffe-eau). Et, pire que tout, une araignée monstrueuse squatte les toilettes. Non seulement elle est énorme et toute velue, mais elle est en plus super rapide et totalement imprévisible.

Pour compenser, nous allons dîner au restaurant de l’hôtel Evasion, à Saraméa ; c’est la grande classe, et nous jurons un peu avec le décor, dans nos vêtements tout pourris.
Revenus au camping nous nous brossons les dents en surveillant THE Spider attentivement. Elle est vraiment affreuse, y’a de quoi être constipé.
Après une bonne nuit sous la tente, nous traçons vers l’Est. Au bord de la route, quelques magnifiques flamboyants, et pas mal d’arbres fruitiers. Des mangues nous aguichent de leurs belles courbes et de leur peau orangée… Mais pas question d’y toucher, tous ces arbres appartiennent à des kanaks.

On se contente d'une saucisse-frites dans le premier snack venu.

Le sol est par endroit recouvert de plantes sensitives (Mimosa pudica), que nous nous amusons à effleurer pour en admirer la thigmonastie.

Plus loin, nous traversons le maquis minier, avant d’arriver en vue de la côte Est.


L’industrie minière a quelque peu transformé le paysage… La côte n’est ici qu’une vaste cicatrice rougeâtre.

Nous arrivons à Hienghène dans la grisaille, et montons la tente au camping du club de plongée. Demain, c'est balades à Hienghène et plongée dans les canyons de corail !

dimanche 9 janvier 2011

La vie à Nouméa

Après avoir parcouru le Sud, et avant de débuter un tour du Nord de l’île, il est prévu que nous passions un week-end à Nouméa avec Sophie.
Cette ville comptant un peu moins de 100 000 habitants est située sur une presqu’île dont la géographie est particulièrement compliquée. Son littoral est en effet découpée par de nombreuses baies (comme on peut le voir sur ce cliché de la NASA) : anse vata, baie des citrons, baie de Magenta, anse  du Kuendu… Afin de brouiller encore plus les pistes pour les touristes à la recherche d’un supermarché (histoire vécue), le centre de la presqu’île est parsemé de collines, la plus haute culminant à 168 mètres. En bref, c’est le gros bordel pour s’y retrouver.
Lorsqu’on se promène dans Nouméa, on est frappé par le fait que les Nouméens semblent particulièrement sportifs. Il y a tellement de joggers le long des plages qu’on se croirait tous les jours au marathon de Paris. Dans l’eau, on remarque de nombreux nageurs et quelques kayakistes. Les clubs de natation sont très fréquentés, et d’un excellent niveau. Sophie pratique l’aquagym au Cercle des Nageurs Calédoniens (4ème club français en 2009 !), ce qui nous a permis de participer à une mémorable séance d’aérobic aquatique. Mes moyens fessiers s’en sont douloureusement souvenus pendant quelques jours.
En bons touristes, nous tenons à nous immerger dans la vie locale, et Sophie nous organise une initiation au ski nautique pour le samedi matin. Nous partons donc pas très rassurés à 7h (eh ouais, on chôme pas aux antipodes) vers la baie des citrons, où le mono nous attend de pied ferme. Nous sommes rejoints par une amie de Sophie, et montons dans un bateau en alu petit mais équipé d’un moteur puissant. Les conseils du mono sont assez sommaires ("et surtout, garde le smile") mais efficaces. Arrivés au milieu de la baie, c’est Sophie qui s’y colle en premier (j’avais un peu les boules, donc j’ai sorti l’argument de la galanterie pour passer en dernier). Elle réussit honorablement à sortir de l’eau et à skier sur quelques dizaines de mètres.
Sophie a un bon smile

Crampe de zygomatiques

Puis vient le tour de Caroline. Arborant pendant toute la séance un magnifique sourire, elle nous épate tous par sa facilité à sortir de l’eau. Elle met un peu de temps à se décider d’arrêter de skier à genoux et à se lever, mais la prestation est très positive.

Ben ils sont où ?

Zoomez sur le magnifique smile

Caro garde le smile

Quel smile !

Caroline perd le smile
L’amie de Sophie fait également une belle performance. Et puis je suis le dernier sec sur le bateau, donc plus moyen de temporiser. Me voici dans l’eau, avec un gilet de sauvetage, des gants, et une paire de gros skis aux pieds… J’essaye de suivre à la lettre les conseils distillés aux filles par le mono : être complètement relax, et toujours garder le smile.
Et c’est parti ! Trop facile en fait. J’aurais bien fait des sauts périlleux, mais les autres auraient été dégoutées.



sans commentaire

On se repose un peu l’après-midi, et le soir on profite de l’intense activité culturelle Nouméenne. Eh ouais, on assiste à un concert de jazz manouche, avec David Reinhardt et, en tête d’affiche, Sanseverino ! La prestation de ce dernier est un peu décevante, ça sent l’éthanol et la coke à 50 mètres. Il est un super vulgaire, on a même le droit à un rot. Mais les autres groupes sont top ; mention spéciale à David Reinhardt accompagné de la chanteuse Cyrille Aimée, et aux « Doigts de l’homme », quatre guitaristes drôles et talentueux.

Burp !
Le concert a lieu au centre culturel Tjibaou, splendide édifice consacré à la culture kanak.

Mieux que le Liberté

D’après Sophie, les locaux vont souvent passer leurs week-ends dans des ilots, loin de l’agitation Nouméenne. Toujours dans le cadre de notre projet d’immersion dans la vie néo-calédonienne, on se laisse tenter par l’expérience. Le lendemain, nous nous rendons sur l’ilot Tenia, à une centaine de kilomètres au Nord de Nouméa. La traversée de l’embarcadère jusqu’à l’ilot se fait sur un gros zodiac. La mer, initialement d’une teinte pas très aguichante (vaguement marron), s’éclaircit rapidement jusqu’à devenir d’un beau turquoise. L’ile est loin d’être déserte ; quelques Nouméens adeptes du kite surf y ont campé la nuit précédente. Nous nous installons dans un faré et déjeunons devant un panorama incroyable. Des tricots rayés débarquent régulièrement, probablement pour profiter également de la vue.

Sophie a gardé le smile
Nous passons la journée à discuter et à faire du snorkeling. Le conducteur du zodiac nous propose une « randonnée palmée » à proximité de l’île. Je ne suis pas convaincu de l’intérêt de la chose, vu que les fonds sont déjà magnifiques à quelques mètres de la plage, mais Sophie nous convainc d’y aller. Et c’est peut-être la plus belle séance de snorkeling de tout le voyage ! Dès notre immersion, nous rencontrons de nombreux requins à ailerons blancs du lagon. Puis nous traversons plusieurs piscines naturelles délimitées par de grosses patates de corail, à fond couvert de sable blanc. Là encore, nous apercevons de nombreux squales, dont un gros requin gris un peu excité. A la base d’une patate de corail se planque une seiche de 50 cm de long ; y’a pas mal de poissons Napoléon, des tortues (on ne les regarde même plus), des poissons chirurgien, des nasons… Et le clou du spectacle en fin de plongée, comme il se doit : un requin léopard (Stegostoma fasciatum) de 2 mètres est posé sur le sable, et se laisse docilement admirer.
Sophie se fait photographe pour immortaliser ce mémorable dimanche.

Oui, je sais, faut que j'aille chez le coiffeur


Après toutes ces splendeurs, nous repartons à regret vers la grande terre. La magnifique vue sur la mangrove nous console rapidement. Sophie rentre à Nouméa (elle travaille le lendemain, ce qui nous parait très étrange), et nous traçons vers Farino, où débute notre tour du Nord de la Nouvelle-Calédonie…

mardi 4 janvier 2011

Bonne année !!!

Première baignade de l'année avec Erwan, au Val André. Température extérieure 5°C, eau à 7°C. Eh ben c'était plus facile que ce que nous craignions...

mardi 28 décembre 2010

Le monstre des antipodes

Tout commença à Hienghène, bourgade située sur la côte Est de la grande terre et réputée pour ses falaises noires. Depuis que nous avions entamé notre tour de Nouvelle-Calédonie quelques jours auparavant, le ciel était resté d’un gris éblouissant, de ce genre de lumière qui pourrit toutes les photos ; la silhouette déchiquetée des murailles de calcaire karstique n’en était que plus menaçante.
Exténués après avoir longuement cheminé sur les routes défoncées, nous garâmes la twingo encore fumante en face de la place du marché. Sous les arcades blanches, cinq femmes kanaks peu amènes proposaient chacune quelques bananes et des tronçons d’igname. Nous prîmes le parti de déjeuner au snack attenant au syndicat d’initiative. La serveuse nous installa à une table de jardin en plastique, dehors, sous un auvent de toile cirée blanche. Après avoir pris notre commande (crevettes pour Caroline et poulet pour moi, accompagnés de bananes poingo cuites dans du lait de coco, c'est quand même pas bien compliqué), elle revint à trois reprises pour nous redemander ce que nous souhaitions manger, l’air gêné. Alors que nous nous assurions qu’aucune caméra n’était cachée dans les alentours, nous remarquâmes une excroissance jaunâtre d’une dizaine de centimètres de long, posée sur l’un des montants métalliques soutenant la toile cirée. Nous nous approchâmes prudemment, pas à pas, Caroline tenant fermement mon bras gauche. Ce que nous virent là, dans ce snack désert à deux pas de la rivière Hienghène, resta douloureusement imprimé sur nos rétines pendant les jours qui suivirent. Maintenant encore, alors que nous sommes à 17 000 kilomètres de l’horreur, je me réveille parfois en pleine nuit le cœur battant, les draps trempés de sueur, sans savoir où je suis. Dans ces moments d’épouvante, c’est cette atrocité que j’entrevois, la première à laquelle nous fûmes confrontés.
Ce monstre, je répugne à en reproduire l’image sur ces pages. Néanmoins, le monde doit savoir, afin de se préparer en vue du jour où les hideuses nuées se répandront au-delà des mers.
Bon là je pense que vous êtes bien préparés, je peux balancer la photo… Cette note a pour sujet principal un autre animal endémique de Nouvelle-Calédonie, qui en soit constitue un parfait exemple de gigantisme insulaire, j’ai nommé Pseudophyllanax imperialis a.k.a. la sauterelle des cocotiers !
Ha ha ! A l’évocation de cet effrayant patronyme, un frisson glacé vous parcourt l’échine, vous êtes soudain agité de mouvements convulsifs, votre bouche devient plus sèche qu’un coup de trique, et vos sterno-cléido-mastoïdiens se contractent violemment l’un après l’autre afin de vous faire tourner la tête au plus vite. Cependant, la fascination l’emporte, et vos yeux restent scotchés à l’écran, espérant avoir enfin une idée de la tronche que pourrait avoir Belzébuth.
Eh bien voilà le premier spécimen de P. imperialis que nous avons rencontré. Une grosse dizaine de centimètres de longueur, 2 cm de hauteur au garrot.
La bête
Là, ça fait pas très impressionnant, mais il faut savoir que c’est le deuxième orthoptère le plus grand au monde, derrière les weta géants de Nouvelle Zélande (Deinacrida spp.). Mais c’est beaucoup plus méchant que les dits weta, vous allez voir.
Nous eûmes une dizaine de jours pour nous remettre de nos émotions. Alors que nous profitions de la paradisiaque île des pins, nous fûmes une nouvelle fois confrontés à la bête. Au retour d’un petit-déjeuner déraisonnable, nous trouvâmes sous le toit de notre luxueux bungalow un autre représentant de l’espèce, de fort belle taille et d’une jolie couleur verte. Je grimpai sur une chaise longue et saisis l’insecte par son scutum, à l’insertion des ailes. 
La bave aux lèvres et le regard maléfique


Eh oui, je suis marié
  Le bestiau sembla moyennement apprécier, et me donna des coups de ses grosses pattes postérieures munies d’épines acérées. L’une d’elle se ficha à la face interne de mon annulaire droit, et je dus demander de l’aide à Caroline pour me défaire de la sauterelle. Je la relâchai sur l’herbe à quelques pas de notre demeure. Bilan : un petit trou sanglant sur le doigt.

Voici une démonstration en vidéo des moyens de défense de P. imperialis. Admirez le mouvement des pattes postérieures, que l’animal emploie comme des hallebardes. Et si vous mettez le son à fond, vous entendrez un son produit par l’animal en frottant ses ailes l’une contre l’autre comme des ciseaux. Ce bruit est assez fort pour dissuader un chien curieux d’y mettre les crocs.

Le lendemain, nous comprîmes que les sauterelles des cocotiers que nous avions vues jusqu’alors étaient des nains. Toujours sous le toit de notre bungalow trônait la grand-mère de toutes les sauterelles. Ce modèle-là mesurait une grosse quinzaine de centimètres, d’une tête cauchemardesque à un oviscapte pointu comme Einstein en physique quantique (comparaison un peu difficile à comprendre, je l’admets).
P. imperialis dans son habitat naturel
Echaudé par ma mésaventure de la veille, je me protégeai la main d’un gant en néoprène puis saisis le monstre par le versant dorsal du thorax.

Cette fois-ci, je vais pouvoir t'emmerder à mon aise...

Et là, c’est le drame : après une acrobatie que j’ai encore du mal à comprendre, la bête se retrouva sur la face postérieure de ma main, et commença à me la brouter de ses mandibules acérées.

P. imperialis en plein repas
Heureusement, le néoprène ne figure pas sur la liste des aliments préférés de P. imperialis. Rebutée par la texture des téguments de son agresseur (après 30 secondes de mastication hésitante quand même), la bête entrepris logiquement de grimper le long de mon bras. A chaque « pas », je pouvais sentir ses griffes me chatouiller dangereusement, mais ce qui était le plus effrayant, c’était le chemin qu'elle empruntait : petit à petit, la reine des P. imperialis s’approchait de mon visage. Oui, de mes yeux et de mon cou fragiles… Vu la puissance et les armes de l’ogre, ni Caroline ni moi n’osions lui balancer un bourre-pif. C’eût probablement été peine perdue, vu qu’il s’agrippait de toutes ses serres sur mon T-shirt.

Photo floue, Caro était un peu paniquée

La bête me grimpa bientôt sur la nuque, puis sur les cheveux… Toute ma vie commença à défiler devant mes yeux. La maternité de Saint-Brieuc, la rencontre avec Caroline, le mariage (hum...)... Alors que j'étais à une dizaine de centimètre de l'énucléation, j’eus un éclair de génie, mis ma main gantée en visière devant mes yeux, et cette idiote de sauterelle fonça dans le piège. Une fois retournée sur ma main, j’employai le même stratagème pour la poser sur la balustrade de notre balcon. Et voilà, tout est bien qui finit bien.

Ah ah, c'est qui le plus malin ?
Intrigué par la profusion de monstres sur les murs de notre bungalow, je furetai, la nuit venue, dans les cocotiers avoisinants. Eh ben y’en avait plein ! Les saloperies grignotaient à qui mieux mieux les palmes, et je compris mieux pourquoi P. imperialis est considéré comme un fléau, participant à la raréfaction de palmiers endémiques.
On finit pas son assiette ???

Que d’aventures ! Et le pire reste à venir…

lundi 20 décembre 2010

Sur les terres de la tribu de Goro

Aujourd’hui, nous partons sur les terres de la Tribu de Goro, qui vendit son âme (du moins son territoire) au Diable… Nous empruntons la route du Mont Doré, que nous connaissons déjà bien, et filons cette fois-ci vers Prony.

Nous nous arrêtons un instant sur les berges de la rivière des pirogues, qui charrie un sable d’un beau rouge sombre.

Le long de la route se dressent quelques panneaux ésotériques… Le Bunchy Top est une maladie virale affectant le bananier, l’empêchant de produire des fruits. Elle est transmise par les pucerons.
Bientôt, nous sommes arrêtés par des gués peu profonds, que notre Twingo passe sans encombre.

Depuis le col de Prony, la vue sur la côte Sud-Est est magnifique. Surtout pour moi, qui porte des lunettes aux verres polarisés. 
               Le panorama vu par Caroline… Pas mal
               Le panorama vu par Vincent… Dément
Le Sud de la Nouvelle Calédonie est bordé par un lagon protégé, dont l’intérêt et l’originalité sont internationalement reconnus, comme en témoigne son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008. En plus des merveilles que nous avons pu voir ailleurs, cette zone héberge entre juillet et septembre des baleines à bosses qui viennent y mettre bas et élever leur baleineau. Il est également habité par les beaucoup moins fréquentables grands requins blancs, ce qui freine quelque peu nos envies de baignade.
Nous arrivons peu avant midi à Prony. Ce ravissant village est aujourd’hui un lieu de villégiature pour agoraphobes. Jadis, Prony fut peuplée de berbères exilés du fait de leurs velléités indépendantistes… Les bagnards étaient employés à couper du bois pour les maisons de Nouméa.
La rue principale (il y en a deux autres) est un chemin de terre rouge planté de majestueux araucarias et de cocotiers, et sur lequel donnent quelques maisons de tôle colorée. Il n’y a pas d’autre bruit que le chant des merles des Moluques.
Allo Maman ? Devine d’où je t’appelle !
La rue aboutit à une petite baie où se trouvent les seuls habitants vertébrés que nous rencontrerons à Prony : deux oies dont les plumes sont légèrement teintées de rouge. Vu la couleur de l’eau, pas sûr que ça parte au lavage.
Les bâtiments de pierre construits par les bagnards sont enlacés par les racines des figuiers banians. Un chapeau sur la tête, et on se prendrait pour Indiana Jones dans la forêt Cambodgienne.

Les chemins environnants sont ponctués des vestiges parfois tragiques de la vie carcérale. Ainsi, deux cimetières luttent tant bien que mal contre les assauts de la végétation luxuriante. Celui des gardiens et administratifs est au centre d’une clairière relativement respectée. Les tombes sont rectangulaires ou circulaires, en fonction de l’origine du défunt (les japonais étaient enterrés assis), et décorées de bénitiers et de porcelaines tigre blanchies par le soleil. Le cimetière des bagnards est en pleine forêt. L’emplacement des tombes est à peine visible, sous la forme d’un monticule oblong soulevant les racines et parfois marqué d’un bénitier.

Le chemin est d’autant plus long  que la faune et la flore sont riches : nous nous arrêtons régulièrement pour des séances de photo.




Caroline est accro à son téléphone


Alors que le chemin traverse un bosquet, le sol est parsemé de petites sphères granuleuses de 2 mm de diamètre, évoquant des déjections d’un insecte de grande taille. Les feuilles de l’arbre nous surplombant portent les stigmates de repas répétés, confirmant mon sentiment. Je secoue énergiquement une branche, quelques feuilles tombent, et nous y retrouvons l’animal mystère que nous avions déjà vu dans le parc de la rivière bleue. Une photographie de sa face ventrale montre qu’il s’agit d’une larve de papillon (3 paires de pattes, 5 paires de fausses pates = vraie chenille). Si vous avez une idée sur l’identification, je suis preneur !

Nous repartons vers le Nord en longeant la côte Est, et arrivons sur les terres de la tribu de Goro. De très loin, on distingue un panache de fumée blanche naissant d’une vaste zone où la forêt a disparu.

C’est une énorme usine de nickel et de cobalt, exploitée par la société Vale Inco (anciennement Goro Nickel). Elle fonctionne selon un procédé innovant : le minerai est mêlé à de l’acide sulfurique à haute pression, et toutes les étapes de purification se font à partir de ce mélange. Les effluents (qui contiennent du chrome, du cadmium et du sulfate de calcium) sont rejetés dans le lagon, à une vingtaine de kilomètres de là. Oui, dans ce même lagon protégé par l’UNESCO…
                                        Magnifique

Connaissant vaguement l’esprit kanak, et notamment leur conception de la propriété, on ne peut être qu’étonné qu’un tel monstre se soit développé sur des terres tribales. A quel prix les chefs de Goro ont-ils cédé ce terrain ? Etaient-ils conscient de ce qui allait s’y développer ?
On perçoit un certain sentiment d’opposition, notamment à la pollution du lagon. Des inscriptions « Non au tuyau » sont lisibles sur la route et sur quelques panneaux.
Quelques kilomètres plus loin, la Nature a repris ses droits sur une autre usine métallurgique. C’est l’ancienne usine de Goro, qui fut exploitée avant la seconde guerre mondiale par les Japonais. Le gris du béton émerge à peine de la forêt luxuriante. D’immenses grues rouillées émergent péniblement des eaux du lagon, probablement plus pour longtemps. Le tableau évoque une œuvre de Miyazaki, et on est pris d’un certain optimisme.

Encore une petite randonnée autour de l’ « Ecolodge Kanua Terra », hôtel récemment construit au milieu de nulle part (au bord de l’eau, tout de même). Là encore, le paysage est magnifique.

Puis nous allons planter notre tente au gite Iya. Après un dîner de rois (crevettes locales pour Caroline, popinée c'est-à-dire cigale de mer pour moi), Caroline va se coucher et je suis l’objet de l’attaque du bernard-l’ermite enragé… Puis, équipé d’une lampe frontale, je fais un tour sur la plage, et y trouve des chitons de fort belle taille (12 cm). Bizarrement, impossible de les retrouver le lendemain. Moi qui pensais que ces mollusques primitifs étaient aussi mobiles que des berniques… En fait, il semblerait que les chitons soient casaniers : ils se déplacent la nuit pour manger, et retournent toujours exactement au même endroit dans la journée. 
                                   Chiton en vadrouille

     Chute d'eau à proximité du camping
                                        Et ses habitants

Nous commençons la journée suivante par une séance de snorkeling en face de notre tente. Encore une tortue (on s’en lasserait presque), des poissons-lime, des nasons, et plein d’autres choses.
L’après-midi, on se fait une randonnée en plein cagnard à proximité du lac de Yaté. On a failli mourir de soif.

De retour à Nouméa, nous dinons chez Cédric et Marie-Pierre, des amis de Jean-François. Ils habitent une splendide maison ancienne de style indonésien, dans la vallée du Tir. Notre appartement parisien ne nous manque pas trop…