Une nouvelle pause zoologique sur un sujet passionnant, qui fait l’objet d’une abondante littérature scientifique... Nous allons parler de Corvus moneduloides, le corbeau de Nouvelle-Calédonie, aka l’Einstein à plumes !
Ce bestiau est probablement le plus intelligent des oiseaux. Ce n’est certes pas le seul à utiliser des outils : le gypaète barbu casse des œufs et des os en largant des caillous dessus, et il est bien connu que certains corvidés (famille des corbeaux) utilisent des brindilles pour dénicher des proies de leur logi.
Mais les corbeaux de Nouvelle-Calédonie sont bien plus malins. Gavin R. Hunt a rapporté en 1996 dans le journal Nature avoir observé des Corvus moneduloides en pleine fabrication d’outils. En bref, l’animal choppe une branche d’Osmanthus austrocaledonicus (a) et en arrache une subdivision, puis vire les feilles. Au final, il obtient un crochet (c à j), qui sert ensuite à déloger des larves de Cerambycidae qui se planquent dans du bois mort.
Et voilà le travail ! |
image provenant de http://www.endemia.nc/ |
Mais les corbeaux ne s’arrêtent pas là. Ils sont également capables d’arracher des bandes de feuilles de Pandanus de différentes tailles, selon l’usage auquel elles sont destinées.
Une équipe d’Oxford a poussé les investigations plus loin. Ils ont capturé des corbeaux de Nouvelle Calédonie, et les ont soumis à des tests en laboratoire. Ils ont constaté1 2 que les oiseaux peuvent modifier des outils préexistants. Sur la vidéo qui suit, le corbeau, constatant que son outil n’est pas adapté, le tord pour former un crochet qu’il utilise pour choper son quatre heures.
Encore mieux ! Les corbeaux de Nouvelle-Calédonie peuvent également élaborer une stratégie comprenant plusieurs outils afin d’arriver à leur finalité3 (qui, rassurons-nous, est toujours gastronomique). Betty, la star de cette nouvelle vidéo, réussit à sortir son sandwich du placard après avoir utilisé trois outils successifs ! Elle utilise les outils dans le bon ordre, et les retourne pour optimiser leur usage. Et c’est la première fois qu’elle est confrontée à ce problème. Trop forte, la Betty.
L’utilisation d’outils par le corbeau de Nouvelle-Calédonie est-elle une curiosité de laboratoire ? Les copains de Betty vivant dans les forêt de la Grande Terre ont-ils besoin de se tordre les méninges pour se sustenter, ou se contentent-ils de gober quelques papillons et lézards malchanceux ?
Pour répondre à cette question, l’équipe de A. Kacelnik a élaboré deux approches. La première consiste à équiper les corbeaux de petites caméras, et à observer leur comportement en milieu naturel. Cette expérience a fait l’objet d’une publication dans la revue Science en 20074. Les auteurs ont ainsi pu identifier des comportements qu’on n’avait jamais observé jusqu’alors. Un des corbeaux (i) a transporté un outil sur plus de 100 mètres, (ii) l’a mis de côté à plusieurs reprises, pendant qu’il se servait de son bec, avant de l’utiliser de nouveau, et (iii) a gardé cet outil avec lui-même après avoir extrait une proie. Dans un environnement forestier, où les brindilles ne manquent pas, tout cela indique que les oiseaux peuvent garder des outils particulièrement intéressant pour des utilisations futures.
Quelques images et données collectées grâce aux caméra embarquées (fixées sur la queue de la bête, en rouge sur la figure A)
La deuxième approche est indirecte. Dans la nature, l’extraction des larves demande souvent un outil (dans 70% des cas observés en vidéo, ces larves sont extraites grâce à un outil), du talent (les jeunes corbeaux inexpérimentés n’y arrivent pas), et du temps (même les corbeaux expérimentés mettent du temps, donc ce comportement est potentiellement coûteux énergétiquement). La corollaire de ces trois exigences est que la proportion de larves dans l’alimentation d’un corbeau reflète quantitativement l’utilisation des outils : un corbeau ne sachant pas utiliser d’outil ne pourra manger que peu de larves. Mais comment évaluer ce que mangent les corbeaux dans la nature ? Dans un article paru en 2010, toujours dans Science5, les auteurs ont mesuré la proportion de certains isotopes (13C, 15N) dans les plumes et le sang de corbeaux de Nlle Calédonie, et en ont déduit la proportion des principaux éléments constituant l’alimentation des corbeaux. A noter qu’il semble particulièrement aisé de déterminer la proportion de nutriments issus des larves de Cerambycidae, car ceux-ci hébergent dans leur tube digestif des symbiotes qui fixent l’azote, ce qui a tendance à diminuer la quantité de 15N dans leurs lipides et protides. Le résultat de tout ça, c’est que les 22 corbeaux étudiés ont mangé en moyenne 1,8 larve (de taille intermédiaire) par jour. Sachant qu’il suffit de 2,98 larves de taille intermédiaire pour assurer les besoins énergétiques quotidiens d’un corbeau, il parait évident que les bons utilisateurs d’outils ont un net avantage énergétique (et sélectif) sur les autres ! D'où la pérennité d'un tel comportement.
Loft story chez les corbeaux |
Ils mangent pas 5 fruits et légumes par jour |
Sur ce, je vais me bouffer un ver de Bancoule avant de dormir...
QUELQUES REFERENCES
1. Weir AA, Chappell J, Kacelnik A. Shaping of hooks in New Caledonian crows. Science 2002;297(5583):981.
1. Weir AA, Chappell J, Kacelnik A. Shaping of hooks in New Caledonian crows. Science 2002;297(5583):981.
2. Weir AA, Kacelnik A. A New Caledonian crow (Corvus moneduloides) creatively re-designs tools by bending or unbending aluminium strips. Anim Cogn 2006;9(4):317-34.
3. Wimpenny JH, Weir AA, Clayton L, Rutz C, Kacelnik A. Cognitive processes associated with sequential tool use in New Caledonian crows. PLoS One 2009;4(8):e6471.
4. Rutz C, Bluff LA, Weir AA, Kacelnik A. Video cameras on wild birds. Science 2007;318(5851):765.
5. Rutz C, Bluff LA, Reed N, Troscianko J, Newton J, Inger R, et al. The ecological significance of tool use in New Caledonian crows. Science;329(5998):1523-6.